Norma Jeane Mortensen — puis Baker — puis Marilyn Monroe

1er juin 1926 - 5 août 1962

 

Contexte - 1952, Photoplay décerne à Marilyn le Prix Spécial.

Après la cérémonie où elle est acclamée, Marilyn se rend dans sa loge. Elle est encore essoufflée et émue suite aux applaudissements et acclamations. Juste avant d’arriver dans sa loge, elle croise son agent, une lettre à la main. Elle le prie de la laisser seule. Tout cela pourrait attendre le lendemain.

Pour la première fois depuis son réveil, à 6h30, elle se retrouve seule. Enfin seule. Et heureuse. Elle s’assied devant sa coiffeuse, pose sa lettre et se regarde.

Ah ! ah ! J’y suis ! J’y suis.

J’ai brillé. Et ils n’ont encore rien vu. Je peux faire mieux, je peux faire plus, je peux faire plus fort, je peux aller plus loin, je peux, je peux, je peux !

 

Si je les ai touchés avec ça... si je les ai touchés avec ça, je vais les faire trembler avec ce que j’ai à l’intérieur. Je vais tout donner, tout faire sortir, je vais exploser. Ils ont frémi ? Je vais les ébranler. Tout cela n’était qu’un bruissement dans les feuillages. Place à la tempête ! Je suis une tornade moi ! pas une légère brise qui déplace une mèche. Ô merci ! Merci de me laisser faire ! Merci de me laisser faire tout ça... je ne le mérite pas.

 

Je sais que je ne le mérite pas. Mais je suis prête à le mériter. Je ferai tout pour le mériter. Je ne suis pas qu’un corps et un sourire. Je sais qu’on m’a ouvert les portes pour mon corps et mon sourire. Mais je vais rester. Lourde, épaisse et profonde. Pas comme ces stars d’un soir qu’on balaye d’un courant d’air. Je ne peux pas venir de là où je viens et ne pas m’ancrer ici, je vais planter mes racines, je vais me poser, là, et le monde n’y pourra rien.

 

C’est une supercherie. Je suis une supercherie. Finalement qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi suis-je acclamée ? Pour mon talent ? Pour avoir exposé mon âme ? Qu’est-ce qu’ils croient ? Qu’est-ce qu’ils voient en moi ? Moi-même je ne vois rien alors, eux, qu’est-ce qu’ils voient ? J’ai peur de retomber. Je ne veux pas redescendre, pas après ça. Je ne veux plus les rôles non crédités, je ne veux plus poser nue, je ne veux plus l’anonymat, le mépris, la misère. Je ne veux plus de Norma.

 

Elle se regarde dans le miroir : Je ne veux plus de toi.

 

Elle se ressaisit : Je veux l’amour, je veux le spectacle, je veux chanter, je veux dévisser les cous avec un simple regard, je veux sentir les planches sous mes pieds, je veux sentir mes épaules vibrer sous les mains qui battront ma gloire, je veux faire du bien, je veux faire du bien à ce monde qui ne m’en a pas fait beaucoup jusque là.

 

Il m’a fait faire un putain de chemin de croix, ce monde. J’ai payé. J’ai signé des énormes chèques de souffrance et maintenant je suis à découvert. Ça aussi je vais le donner. Je sais que je ne suis pas la seule. Je peux être la porte-voix de ceux qui n’ont pas ma chance. Je peux montrer que je les comprends. Parce que j’en viens. Et je peux tromper leur douleur. Donnez-moi une chance de faire quelque chose de grand. Juste une. Je demande trop, je sais. J’ai déjà eu de la chance, je le sais. Je veux encore une étincelle, rien qu’une étincelle et je mettrai le feu. Je ferai tout, tout, tout...

 

Elle regarde la lettre posée devant elle. Elle la prend. Quelques semaines plus tôt, lors d’une réunion avec la Fox, elle avait exprimé son admiration pour Alfred Hitchcock. Elle avait chargé son agent de la promouvoir auprès du maître. Hitchcock n’avait eu qu’un mot, écrit sans politesse ni égards, au centre de la feuille :

« Je n’aime pas les femmes qui ont le sexe affiché sur la figure. Les blondes, je les préfère froides. »

 

Elle froisse la lettre entre ses doigts crispés et enrage : Alors c’est comme ça ? C’est comme ça ? Le sexe affiché sur la figure ! C’est ça que tu vois, misérable chien ! On vit dans un monde de sexe ! Le monde est un sexe ! Et tu as un problème avec le sexe ? Tu crois que le sexe m’empêche de faire marcher mon coeur ? Ignorant ! Tu es né d’un coup rapide dans la paille, sans amour ni tendresse, avec juste ce qu’il fallait de sexe pour que ta chienne de mère te donne la vie ! Je n’ai pas peur du sexe moi ! Et je ne m’en contente pas ! Tu verras ! Tu verras !

 

Furieuse, elle sort.