J’ai un problème avec les filles. Et pourtant je suis un mec bien. Il faut se donner beaucoup de mal pour être un mec bien.

 

Vous comprenez, moi j’attire les filles.

 

Oh, je vous vois déjà sourire, ce n’est pas, malheureusement pas, ce que vous croyez.

 

Je ne suis pas de ceux qui les font chavirer à cause d’un thorax néandertalien ou une mâchoire carrée, un regard de fauve ou une odeur de musc faisandé commandant l’ovulation spontanée.

 

Non, moi, en général, je passe après.

 

En fait, ces prédateurs de femmes laissent un carnage derrière eux. Des coeurs brisés, des kleenex mouillés par milliers, du mascara séché et craquelé qui s’effrite sous les sons aigus des sanglots.

 

Il n’y a rien de pire qu’une femme qui est blessée juste après avoir dit : « Je suis bien avec toi. »

 

Et moi, c’est juste là que je les récupère.

 

Elles viennent me parler parce que moi, je ne suis pas comme ces salauds, je suis capable de les comprendre, on peut vraiment compter sur moi.

 

C’est très frustrant parce qu’entre les lignes, ça veut dire que je ne suis pas vraiment un mec. Pourtant moi aussi j’ai une odeur, j’ai une mâchoire, j’ai envie de cul - ça m’obsède même -, je veux conquérir, défricher, ensemencer, goûter, lécher, cracher et porter un regard de vainqueur sur mon champ de bataille.

 

Mais je ne peux pas.

 

L’oeil humide, ça donne envie, mais si on ajoute le nez qui coule et une respiration rauque et haletante, eh bien on se retient. C’est aussi ça être un mec bien. Alors je la fais parler. Bien sûr, dans mon esprit, je me dis que c’est comme une blessure infectée, il faut faire sortir le pus, nettoyer et jouir de la cicatrisation. Alors, comme un chien, je lèche la plaie qu’on me tend, je peux mesurer la gravité du mal, j’extrapole la gratitude que je recevrai pour mes soins donnés sans compter et j’attends.

 

La réalité, c’est que celui qui fait sortir le pus, celui qui nettoie et celui qui jouit de la victime soignée ne sont pas les mêmes individus. La réalité, c’est que la gratitude escomptée est tout à fait illusoire. Evidemment on peut recevoir un « merci », mais ce n’est pas de la gratitude, c’est de la politesse. Après avoir passé des heures, plusieurs fois par semaine, avec une fille meurtrie, si un jour elle se pointe et dit : « Je ne sais pas où ça nous mènera, mais pour exprimer ma reconnaissance, j’aimerais bien te sucer. », alors je verrais de la gratitude. Mais ça n’arrive pas. Quand elle est sur le point de se reprendre, deux grandes voies s’offrent à elle :

- elle retourne se casser les dents sur le poitrail d’acier d’un prédateur

ou

- elle se case avec un type insignifiant.

 

Mais moi, je ne suis pas insignifiant. Ni même un prédateur. Ca signifie, en gros, que je ne me fais sucer que par erreur. Alors que je suis toujours entouré de filles. Elles ne tarissent pas d’éloges sur moi. Ah ça ! si j’étais pas leur ami, leur proche, leur confident, elles me sauteraient dessus.

 

Ca non plus ce n’est pas vrai. Quand j’arrête d’être un confident ou un ami, elles ne me sautent pas dessus, elles m’oublient. Elles ne m’oublient pas seulement pour leurs propres projets amoureux, elles m’oublient même pour leurs copines célibataires. Je les entends encore me dire : « Il faut que je trouve quelqu’un pour Sophie mais je ne vois personne... » Alors je dis « Et moi ? » et elles m’annoncent, parce qu’elles savent bien, elles, que non, Sophie, ce sera pas mon truc, c’est pas mon style Sophie.

 

Moi je me dis que j’aimerais bien la voir, Sophie, pour décider si c’est mon style Sophie. Peut-être même que j’aurais besoin de la connaître bibliquement pour être capable de juger. Après quelques nuits, je pourrais lui dire que, ça ne vient pas d’elle, que je traverse un moment difficile, qu’il faut se rendre à l’évidence, que ces grandioses moments de sexualité déchaînés ne sont qu’un cri déchirant dans la détresse de nos existences vaines, qu’il nous faut revenir à l’essentiel et que l’essentiel est en nous. Pas en nous deux. En chacun de nous. Alors Sophie irait pleurer ailleurs et moi je m’en taperais une autre ou je me caserais avec une fille insignifiante.

 

Bien sûr, il y a aussi l’option du grand amour. Mais c’est comme quand on cherche du boulot, il y a toujours l’option du gros lot au loto, mais faut pas compter dessus. C’est pas sérieux.

 

Alors en attendant, j’ai toujours mon problème avec les filles.

 

Ce qui est étonnant parce que vraiment, vraiment, je me donne beaucoup de mal pour être un mec bien.